Février.  En route pour la prison de la Colonie où j’anime un atelier cinéma. Le but est d’amener des détenus à réaliser leurs propres films documentaires.

Le cinéma est l’art de toutes les contraintes : temporelles, financières, dramaturgiques, relationnelles aussi. Amener un art de contraintes dans une prison relève peut-être du défi. Les détenus, accepteront-ils de jouer le jeu? D’apprendre? De se soumettre aux règles du cinéma malgré la censure, le contexte, les barreaux?

Je ne sais pas si mon projet aura du sens pour eux. A-t-on encore envie de créer lorsqu’on est enfermé depuis longtemps? A-t-on encore des choses à dire autre que sa colère ou son abattement? Comment préserver un désir de création ou d’expression lorsque plus personne ne nous demande notre avis, lorsque nos choix se résument à pas grand chose.

Pour les motiver, notre enthousiasme devra être diablement contagieux. Mais pour cela, il faut que nous aussi supportions l’enfermement.

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Plusieurs détenus de notre groupe ont écopé de l’article 43 qui permet d’interner des délinquants jugés dangereux pour une période indéterminée.… Ne pas avoir de date de sortie est probablement la plus dure des punitions. L’incertitude ronge. Dans ces conditions, leur engagement m’étonne et me rassure à la fois. L’action créative est décidément un bel outil de résilience. […]

Décembre. Voici un mois que plus personne n’a pris le chemin du Canal Déchaîné. Tout est fermé. Je sais que plusieurs détenus ont reçu les résultats de leur jugement. Leur avenir se dessine. Maintenant que notre travail est achevé, les questions que nous nous sommes interdit de poser resurgissent. A ce stade, je ne pense pas que la nature de leur délit puisse modifier ma relation avec eux. Pour moi, leur présent a pris le pas sur leur passé. Je crois… " […] Retour

 



"Ça re-motive, de les voir travailler en équipe, comme ils sont en train de faire actuellement ! Je trouve que c’est incroyable ce qui se passe à travers ce groupe… Ils se parlent beaucoup, ils échangent plein de choses et pis, en plus, ça continue une fois qu’ils sont dans le cellulaire ! C’est… incroyable !" Retour

 



"Jean: Dans ma vie, on m’a toujours dit que j’allais jusqu’au bout de mes idées. Alors, là, j’ai été jusqu’au bout ! J’ai tout investi. Autant dans les choix, dans les voix, dans le texte. La recherche de l’histoire aussi. J’ai choisi des paragraphes importants pour mettre avec les images. Pour une fois que je peux montrer à quelqu’un que j’ai été jusqu’au bout.

Denise: Et là, vous en avez pour combien de temps encore ?
Jean : Ben, je n’en sais rien. Ça peut durer dix ans, comme ça peux durer quinze ans, vingt ans, trente ans. Ça peut durer même tout le restant de ma vie. Ça dépend tout de l’attitude du juge. Et puis, le service ici,  l’emploi administratif. Ça peut durer très long ! Il y en a qui sont enfermés depuis quatorze ans, il y en a d’autres, onze ans. Il y en a, ça fait dix ans. Il y en a un, il a eu cinq ans, et puis ça fait dix ans qu’il est dedans.!
Denise : Et comment ça se fait que c’est des types de peines particuliers ?

Jean: Mais, c’est l’internement ! Mais normalement, l’internement devrait être fait dans un asile psychiatrique, qui est là, avec des gens qui sont formés pour, justement, des gens internés. Et puis, le problème, en Suisse, c’est qu’on fabrique les lois, mais on ne fabrique pas l’établissement pour. Alors bien sûr, on nous met dans une prison et puis on est traité comme des prisonniers. Normalement, on devrait pas ! On devrait être ailleurs, on devrait être…

Denise : Vous, vous aimeriez mieux être dans un hôpital ?

Jean: Non. J’aimerais mieux être dehors parce que, de toute façon, on estime que je suis dangereux, que je suis un débile, un fou, mais, moi, je ne me vois pas du tout comme ça. Je me vois comme un type tout à fait normal, calme, simplement qui demande de la paix. Que je puisse vivre tranquille un moment."

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